Journal de bord

Jour 32

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Rivières d’Europe : des cours d’eau sous pression et une biodiversité dégradée

Au printemps 2023, Christophe Gruault traversait 22 cours d’eau d’Europe à la rame, entre Varsovie et Paris, prélevant sur son passage des échantillons d’eau pour le Muséum national d’Histoire naturelle.

Les cinq scientifiques de cette expédition inédite, co-organisée par la Fondation Iris, étaient réunis le 21 mars 2024 à l’Auditorium de la Grande Galerie de l’Évolution pour livrer leurs premiers résultats, suite aux analyses ADNe et physico-chimiques.

Parmi les principaux constats des chercheurs :

– Il y a des espèces dont on se passerait bien : les espèces introduites envahissantes. Elles colonisent les cours d’eau au détriment des espèces autochtones. C’est le cas par exemple de la moule zébrée Dreissena polymorpha, originaire du bassin de la mer Caspienne, championne des espèces de bivalves parmi les 18 identifiées par l’hydrobiologiste Vincent Prié. Ou du Gobie à tache noire Neogobius melanostomus, l’une des 15 espèces non indigènes de poissons identifiées sur une grande partie du parcours par l’écologue Éric Feunteun. Les espèces introduites envahissantes représentent un tiers des espèces de poissons inventoriées, et certaines n’avaient pas encore été recensées jusque-là dans les cours d’eau d’Europe !

– Il y a une banalisation des communautés de poissons qui peuplent nos cours d’eau. Alors que l’on pouvait s’attendre à des différences de populations selon les bassins versants notamment, Éric Feunteun constate que certaines espèces sont présentes dans presque tous les sites.

– Il y a quelques espèces rares et d’autres sous-représentées. 3 espèces de bivalves classées comme rares ont été recensées sur quelques sites du parcours…dont une aux portes de Paris, à la Défense ! Côté poissons, les 9 espèces rares identifiées l’ont été dans seulement un ou deux sites. Sur les 12 espèces attendues de poissons migrateurs (anguilles, saumons…), seulement 5 ont été identifiées.

Mêmes observations pour les odonates (libellules et demoiselles) étudiées par l’entomologiste Romain Garrouste ou les ressources aquatiques que l’on retrouve dans nos assiettes, domaine du biophysicien Christophe Lavelle : tous les chercheurs partagent le constat d’une biodiversité dégradée de nos cours d’eau et pointent du doigt la pression anthropique : barrages (1,2 millions en Europe), couverture des sols, habitats…

Parmi les facteurs d’origine humaine qui pourraient expliquer l’appauvrissement de la biodiversité, les pollutions de l’eau ont été scrutées par l’écophysiologiste Jean-Baptiste Fini. Il a mis en évidence la présence, sur la totalité des sites de prélèvement, d’au moins 6 résidus de pesticides au-delà des normes (dont l’AMPA, sous-produitdu glyphosate retrouvé presque partout) et des résidus de médicaments (dont la cotinine, issue des mégots de cigarettes). Certaines eaux contenaient par ailleurs des produits qui perturbent les hormones thyroïdiennes ou les hormones de la reproduction.

Quels impact ces polluants ont-ils sur la biodiversité ? Et sur la santé humaine ? Des analyses et des études complémentaires devront être menées pour approfondir ces questions.

En attendant, des solutions existent pour prendre soin de nos rivières. L’hydrologue Charlène Descollonges est venue esquisser des pistes pour s’engager en faveur de la préservation des écosystème aquatiques :

– ralentir le parcours de l’eau en la laisser filtrer dans les sols plutôt que de les imperméabiliser

– siéger dans un parlement de l’eau et prendre part aux décisions pour les dépolluer et les restaurer.

– reconnaitre aux rivières un droit à exister plutôt que de les considérer comme de simples ressources dans lesquelles puiser.

Merci et bravo aux écoles partenaires et à leurs éco-délégués venus spécialement de Bruxelles et de Compiègne pour partager leur engagement sur le terrain à l’occasion du déploiement du programme pédagogique de l’Europe à la rame !


Photos : Jacques Bravo